samedi 21 novembre 2015

Le fantôme de la tasse de thé

         Il croyait sans cesse entendre le parquet chanter[1] pour trahir la présence d'un intrus dans le château endormi. À chaque instant, alors que l'épuisement l’emportait sur sa volonté et lestait ses paupières de poids invisibles, il avait l’impression de voir des silhouettes fantasmatiques se dessiner dans l'ombre et était de nouveau tout à fait alerte. Ses mains tremblaient de l'énergie inquiète qui faisait vibrer ses nerfs, et son cœur cognait dans sa poitrine.
        Lorsqu'une aube nouvelle vit la fin de son service, il regagna la demeure de ses parents d'un pas las. À présent qu'il avait quitté le lieu où il avait rencontré Shikibu Heinaï, il était épuisé au point que mettre un pied devant l'autre devenait une épreuve. Mais, une fois dans son futon, ses pensées s'emballèrent une fois de plus et le sommeil recommença à le fuir telle une proie effarouchée que Sekinaï était condamné à poursuivre dans une chasse infructueuse.



         Les jours suivants s'écoulèrent de la même manière. Sekinaï cherchait la trace de Shikibu Heinaï durant tous ses moments de loisir sans aucun succès. L'homme le préoccupait au point qu'il ne parvenait toujours pas à prendre le moindre repos. Autour de lui, on remarquait peu à peu son manque d'appétit et les marques de la fatigue sur son visage. On murmurait qu'il était tombé amoureux d'une courtisane de haut rang et qu'il se consumait de désespoir à l'idée de ne pouvoir la racheter. On lui prêtait de terribles passions et des désespoirs plus terribles encore. Sekinaï n'y accordait aucune attention, occupé qu’il était par sa quête vaine et l'insomnie qui rendait chaque jour plus long que le précédent.


[1] Référence au système du "parquet rossignol" : de fines lames de métal sont insérées sous le plancher de sorte que le moindre pas le fasse grincer, produisant un son rappelant le chant du rossignol... et permettant de détecter les intrus